Se convertir à la viticulture biologique : quels défis pour les domaines viticoles ?

14 mars 2025

Comprendre le processus de conversion au bio

Avant même de parler des défis, il faut comprendre ce qu’implique la « conversion en bio ». Cette démarche, réglementée au niveau européen, s’étale sur trois ans. Pendant cette période, le vigneron doit adopter des pratiques conformes au cahier des charges de l’agriculture biologique, sans pour autant pouvoir revendiquer le label pour ses bouteilles avant la troisième année. Ce laps de temps est essentiel pour « nettoyer » les parcelles des résidus de produits de synthèse utilisés précédemment.

En d’autres termes, le vigneron investit immédiatement dans des pratiques plus coûteuses et exigeantes tout en renonçant temporairement à l’argument commercial du label bio. Cela suppose une excellente planification, une vision à long terme et une vraie résilience.

Défi n°1 : repenser les traitements et approches agronomiques

La viticulture bio interdit l’utilisation de nombreux produits chimiques tels que les désherbants ou les fongicides de synthèse. À la place, les vignerons doivent se tourner vers des alternatives naturelles, comme l’utilisation de cuivre (à dose réglementée) pour lutter contre le mildiou ou de soufre contre l’oïdium. Si cela peut sembler simple sur le papier, la réalité est bien plus complexe.

  • Climats capricieux : En Alsace, où je travaille, les variations climatiques peuvent être extrêmes : des printemps pluvieux favorisant les maladies à des étés de plus en plus secs. Cela oblige à une vigilance constante et des interventions précises au bon moment.
  • Limitation des produits "bio" : Même les produits autorisés, comme le cuivre, posent la question de leur impact environnemental à long terme. De nombreux vignerons cherchent donc à réduire leur utilisation, mais cela demande une observation fine des cycles naturels et une anticipation parfaite.
  • La lutte biologique : Introduire des auxiliaires comme la confusion sexuelle (contre les ravageurs) ou des couverts végétaux pour enrichir les sols demande des compétences techniques spécifiques.

Pour moi, ces défis sont autant d’opportunités de redécouvrir notre terroir et de renouer avec un savoir-faire ancestral, mais cela ne se fait pas sans effort.

Défi n°2 : un surcoût financier important, mais nécessaire

La conversion au bio implique des investissements significatifs. Voici quelques exemples concrets :

  • Matériel adapté : Le désherbage mécanique exige du matériel spécifique, comme les interceps ou les tondeuses. Leur coût peut grimper à plusieurs milliers d’euros.
  • Temps et main-d'œuvre : Travailler les sols manuellement ou mécaniquement est beaucoup plus chronophage que de pulvériser un herbicide chimique. Cela signifie engager plus de main-d'œuvre, souvent dans un contexte où cette dernière se fait rare.
  • Formation : Se former aux pratiques bio et biodynamiques peut représenter un coût, tout comme l’accompagnement par des agronomes ou des experts en agriculture durable.

Heureusement, certaines aides publiques ou régionales existent pour accompagner les viticulteurs. En Alsace, la Région ou l’Union européenne proposent des subventions à la conversion bio, mais elles suffisent rarement à amortir complètement les dépenses.

Défi n°3 : la gestion des rendements

L’une des grandes inquiétudes des vignerons qui passent au bio reste la baisse des rendements. Pourquoi ? Principalement parce que cesser les intrants chimiques signifie accepter une plus grande vulnérabilité aux maladies et respecter des pratiques culturales plus exigeantes pour les vignes.

En conversion bio, les rendements peuvent baisser de 20 à 40 % dans les premières années, un choc pour beaucoup, surtout dans les vignobles où la production est déjà fragile. Cependant, à long terme, les vignes cultivées biologiquement (et encore plus en biodynamie) développent une résilience naturelle, favorisant de meilleurs équilibres et des vins plus authentiques.

Défi n°4 : convaincre les sceptiques et changer de paradigme

Au-delà des défis techniques et financiers, la conversion au bio suscite parfois des réticences parmi ses pairs, ou même dans son propre entourage. Pendant longtemps, l’agriculture biologique a été perçue comme marginale ou peu fiable, notamment dans les vignobles soumis à une forte pression des maladies cryptogamiques comme le mildiou.

De plus, certains consommateurs restent sceptiques face au prix plus élevé des vins bio. Pourtant, cet écart s’explique par des coûts de production supérieurs, mais aussi par une démarche sincère qui valorise la qualité sur la quantité. Il appartient donc aux vignerons bio, comme moi, d’expliquer cette démarche et de tisser un lien de confiance avec les amateurs de vin.

Changer de regard sur son vignoble

Malgré ces défis, la conversion au bio est une aventure passionnante. Elle demande de repenser notre manière de travailler, mais aussi notre relation avec la vigne. Pour moi, c’est cette dimension humaine et écologique qui donne un sens nouveau à mon métier de vigneronne. Travailler en symbiose avec la nature, accompagner plutôt que dominer les cycles du vivant : voilà ce qui fait la richesse de ce chemin vers le bio.

Et si demain, ces pratiques devenaient la norme plutôt que l’exception ? Ce serait peut-être le signe que la viticulture a enfin trouvé sa voie dans un monde en quête d’équilibre.

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