Les vignerons face au choix du biologique : entre convictions, freins et opportunités

2 mars 2025

Une quête de sens et de respect du vivant

Pour de nombreux vignerons qui franchissent le cap du bio, il s’agit avant tout d’une quête de cohérence et de sens. Nous sommes beaucoup à avoir constaté, parfois brutalement, l’impact de nos pratiques sur notre environnement. Les sols se fatiguent, la biodiversité se fragilise, et les maladies de la vigne semblent sans fin, alimentées par une spirale d’interventions chimiques. Ces observations amènent à réfléchir : n’avons-nous pas un rôle à jouer pour préserver ces terres que nous cultivons ?

La viticulture biologique repose sur un principe simple mais exigeant : travailler avec la nature plutôt que contre elle. Cela implique de bannir les intrants de synthèse, de redonner vie aux sols avec des amendements naturels ou encore de stimuler les défenses naturelles de la plante. Cette approche séduit aussi pour sa promesse de vins plus expressifs, reflétant pleinement le terroir.

Des déclencheurs personnels ou familiaux

Chez certains vignerons, le passage au bio est aussi une histoire de transmission ou d’événements marquants. Une grande sensibilité écologique, un choc face à une pollution locale ou même la prise de conscience lors d’une naissance dans la famille peuvent agir comme des déclics. J’entends souvent des collègues raconter qu’ils n’imaginaient plus travailler leurs vignes comme avant en voyant leurs enfants courir entre les rangs.

Un cadre législatif et économique qui évolue

Enfin, il ne faut pas sous-estimer le rôle des changements réglementaires et des opportunités de marché. L’intérêt croissant des consommateurs pour les vins bio, attesté par la progression des ventes (+20 % par an en moyenne en France dans les années 2010 selon l’Agence Bio), incite certains vignerons à envisager ce modèle. En parallèle, des aides publiques comme celles de la Politique Agricole Commune (PAC) peuvent faciliter la conversion.

Les freins au passage au bio

Malgré ces arguments en faveur d’une transition, de nombreux domaines viticoles choisissent de rester dans le conventionnel, ou explorent timidement des pratiques raisonnées. Les raisons de cette hésitation sont multiples, allant de contraintes économiques à des peurs plus émotionnelles.

Un effort de conversion difficile à engager

Changer de modèle agricole demande du temps, des moyens et une bonne dose de courage. La certification en agriculture biologique impose une période de conversion de trois ans, durant laquelle le vigneron doit modifier ses pratiques mais n’a pas encore droit au label. C’est une zone grise compliquée à gérer financièrement.

À cela s’ajoute un investissement technique : maîtriser les maladies et les ravageurs sans produits de synthèse nécessite une expertise accrue. Par exemple, en Alsace, les étés parfois humides favorisent la prolifération du mildiou et de l’oïdium, des maladies que les traitements bio contrôlent moins directement que leurs équivalents chimiques. Pour certains, l’incertitude et les échecs possibles sont des risques trop lourds à porter.

Une pression économique intense

Les domaines viticoles sont souvent soumis à une forte pression économique, notamment les plus petits qui peinent à dégager des marges suffisantes. Or, la bio demande un surcroît de travail, notamment manuel, et des investissements supplémentaires en matériel adapté (broyeurs, outils de désherbage mécanique, stations météo connectées…). À moins de pouvoir augmenter le prix des bouteilles, ce surcoût risque de fragiliser encore plus la viabilité d’un domaine.

Par ailleurs, certains marchés internationaux sont moins sensibles à l’attrait du bio, ce qui peut limiter les perspectives de valorisation dans certaines niches commerciales.

Une question de culture et de perception

Au-delà de ces obstacles concrets, le choix de passer ou non en bio est souvent une question de culture, d’éducation et de génération. Les habitudes agricoles des décennies passées restent parfois solidement ancrées. Pour certains vignerons, abandonner les pratiques conventionnelles serait comme renoncer à une partie de leur savoir-faire.

Une méfiance envers certaines certifications

D’autres restent sceptiques face aux labels bio. Ils pointent du doigt des règles perçues comme trop rigides ou pas toujours adaptées aux réalités du terrain. Il existe par exemple des vignerons qui appliquent des pratiques biologiques ou biodynamiques sans chercher la certification, pour éviter les coûts ou la « bureaucratisation » qu’elle implique. Ce sont parfois ces non-dits qui brouillent la frontière entre bio et conventionnel.

La crainte du regard des pairs

Enfin, n’oublions pas le poids de la communauté professionnelle. Si, personnellement, je m’entoure de confrères qui partagent mes valeurs, il n’est pas rare d’entendre des témoignages de vignerons qui redoutent la critique ou l’isolement vis-à-vis de ceux qui persistent dans les modèles intensifs et traditionnels.

Vers un dialogue ouvert entre les approches

Le débat entre vignerons bio et conventionnels n’a rien de manichéen. Chaque domaine est unique, avec des contraintes, des histoires et des ambitions propres. L’enjeu aujourd’hui n’est pas d’opposer les deux camps, mais de susciter des dialogues constructifs. Des initiatives comme les formations ou les échanges d’expériences permettent d’accompagner cette transition au lieu de diviser.

Le paysage viticole évolue, poussé par la demande des consommateurs, le contexte climatique et les opportunités d’innovation. Peut-être qu’un jour, le bio sera la norme et non plus un choix particulier. En attendant, chaque vigneron parcourt son chemin à son rythme, avec ses convictions et ses défis.

Et si ce sujet vous intéresse, je vous invite à venir en discuter lors de la prochaine fête des terroirs bio d’Alsace, où vous pourrez rencontrer des producteurs engagés et explorer leurs approches. Ce dialogue est aussi le vôtre, en tant qu’amateurs de vins !

En savoir plus à ce sujet :